Les œuvres provenant de la spoliation nazie récupérées par les musées nationaux – L’affaire Alphonse Kann contre Beaubourg

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Oeuvre: Georges Braque, L’homme à la guitare, 1915, huile et sciures de bois sur toile, Paris, Centre Pompidou. Source: Flickr, Denis Trente-Huittessan.

Parmi les œuvres exposées au Centre Pompidou se trouvent des MNR. C’est l’acronyme pour dire « Musées Nationaux Récupération ». D’après le site du ministère de la Culture et de la Communication, ce sigle désigne un ensemble d’environ deux mille œuvres qui ont été récupérées par les musées nationaux (1). Elles sont dans l’attente de retrouver leur propriétaire respectif. Les musées nationaux en sont conscients car le sigle MNR est apposé au dos de ces œuvres. Ces œuvres sans propriétaire découvertes avant 1945 renferment un risque d’avoir été spoliées durant la Seconde guerre mondiale. Il ne s’agit pas seulement de deux ou trois œuvres, mais bien d’au moins deux milliers d’œuvres, soit tout autant de propriétaires potentiels dans le monde.Relaté par Vincent Noce sur le site du journal Libération, l’affaire Alphonse Kann contre le musée Beaubourg est l’exemple d’un propriétaire revendiquant la propriété de son bien (2). En 1997, les héritiers d’Alphonse Kann (1870-1948) commencent la recherche de ses tableaux dérobés par les nazis dans sa villa à Saint-Germain-en-Laye en 1940. Alphonse Kann, français, était un important collectionneur d’art de l’héritage juif. Maître Antoine Comte, avocat spécialiste en spoliation nazie, constitue sa défense. Le conflit porte sur une œuvre cubiste de Braque, L’homme à la guitare datant de 1915. La partie demanderesse accuse le musée Beaubourg ainsi que son président Jean-Jacques Aillagon de garder une œuvre volée par les nazis. En 1981, le musée acquiert ce tableau auprès du galeriste Heinz Berggruen. Cependant, il provient bien de la collection d’Alphonse Kann, qui a été pillée durant la Seconde guerre mondiale. Quelques temps après avoir été dérobée, l’œuvre de Braque atterrit sur le marché parisien. Entre commissaires priseurs, galeristes et autres propriétaires privées, l’œuvre a connu plusieurs maisons avant de se retrouver aujourd’hui au musée d’art moderne inquiété. Lorsque ce dernier a été contacté par la famille d’Alphonse Kann, il a prétendu l’avoir acheté bien assez longtemps après sa spoliation sans en connaître sa provenance. Bien que l’origine Alphonse Kann n’était pas connue au moment de l’achat du tableau, « il suffisait pour le savoir de consulter les archives Braque à la galerie Louise Leiris », souligna Francis Warin, petit-neveu du collectionneur d’art Alphonse Kann (3). Maître Comte s’appuie sur un cas similaire pour la demande de mise en examen du musée d’art moderne parisien, dont l’affaire a été portée jusqu’en cassation, pour énoncer que « rien ne justifierait que les responsables des musées et des collections publiques fussent traités différemment que les collectionneurs ou marchands, comme si s’attachait à leurs fonctions une espèce d’immunité ». La traduction en tribunal correctionnel n’a pas eu lieu car le musée aurait dédommagé les héritiers d’Alphonse Kann avec la modique somme de 28 000€ pour éviter un procès… (4) L’œuvre n’est toujours pas réattribuée à son propriétaire originel, aujourd’hui les héritiers d’Alphonse Kann.

La restitution des tableaux de famille n’est pas qu’une question de loi. Pour les juifs, la restitution des œuvres symbolise également la restitution de leur humanité car ils étaient considérés comme des sous-hommes durant la période hitlérienne. Malgré cela, la restitution des œuvres est délicate encore aujourd’hui comme l’indique l’émission de France Inter du 20 février 2015 (5). Peu d’affaires sont réellement traduites au tribunal, les musées et collections publiques s’étant attachés aux tableaux récupérés au fil des années essaient de trouver des alternatives…

 

(1) Ministère de la Culture et de la Communication, “Les MNR ou les oeuvres issues de la spoliation artistique confiées aux musées de France”, Site Rose-Valland, consulté le 20 février 2016 sur  http://www.culture.gouv.fr/documentation/MNR/MnR-pres.htm

(2) Vincent Noce, “Spoliation: Le Musée d’art moderne inquiété”, Libération, 14 décembre 2000, consulté le 20 février 2016 sur http://next.liberation.fr/culture/2000/12/14/spoliation-le-musee-d’art-moderne_inquiete_347647

(3) Ibid.

(4) “Les musées français tardent à restituer les biens juifs spoliés par les nazis”, France Inter, 20 février 2015, consulté le 20 février 2016 sur http://www.franceinter.fr/emission-lenquete-les-musees-francais-tardent-a-restituer-les-biens-juifs-spolies-par-les-nazis

(5) Ibid.

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